
Le violon d’Ingres de 1924 est sans doute la photographie la plus connue de Man Ray. Elle est aussi devenue le symbole de la photographie surréaliste.
Man Ray est né Emmanuel Radnitzky à Philadelphie. Après des études d’art, il est peintre, sculpteur Dès 1914, Man Ray s’intéresse déjà à la photographie. Conseillé par Alfred Stieglitz, il reproduit ses toiles pour créer ses catalogues. Il rencontre Marcel Duchamp à New-York et deviennent amis. Man Ray est fasciné par l’Avant-garde européenne et sa représentation moderne de l’art. Il s’intéresse à toutes les formes d’art et expérimente beaucoup. Il suscite parfois l’indignation de ses pairs, comme avec ses œuvres peintes à l’aérographe. Au début des années 20 aux Etats Unis, la photographie suscite encore peu d’intérêt artistique. Elle est surtout vue comme une invention scientifique, utilisée pour retranscrire la réalité.
Man Ray à Paris
Man Ray quitte l’Amérique en 1921 et arrive en France avec le ferme espoir de devenir peintre. A peine arrivé à Paris, Marcel Duchamp le présente à son cercle d’amis du courant dada. Ceux-ci sont réunis autour d’André Breton et créent les bases de ce qui allait devenir le mouvement surréaliste. C’est tout naturellement que Man Ray s’installe à Montparnasse. A cette époque, c’est le quartier élu par les artistes. Il est alors en pleine effervescence d’idées, bouillonnant de création et habité d’un esprit de liberté.
Man Ray abandonne l’idée de devenir peintre dès l’année de son arrivée à Paris, après l’échec d’une de ses expositions au salon Dada. La photographie prend de plus en plus de place dans sa vie. Il ne délaissera jamais le dessin, la peinture ni les objets qu’il fera régulièrement se rencontrer, car il aime les mélanges et les rencontres entre les arts.
Man Ray photographe
Man Ray offre d’abord ses services pour reproduire les œuvres de ses amis artistes. Ses photographies illustrent les livres d’André Breton. Artistes et marchands le sollicitent de plus en plus régulièrement pour les photographier. Quand Picabia lui fait rencontrer Jean Cocteau pour le photographier, sa carrière de portraitiste démarre véritablement. Les portraits d’artistes s’enchaînent et il est même demandé pour des photos de mode par le couturier Paul Poiret.
Man Ray pratique la photographie avec une grande liberté. Sa capacité d’invention est sans limite. Il s’affranchit des règles et se détourne des étiquettes pour ne pas être enfermé. Man Ray s’éloigne progressivement du style documentaire et figuratif pour une approche plus abstraite. Il devient le photographe central du surréalisme. Hommage du maître, André Breton le qualifie d’artiste pré-surréaliste.
Man Ray n’a jamais eu les louanges des critiques qui n’avaient d’yeux que pour une représentation de l’art traditionnelle et codifiée. Seuls des magazines de mode un peu audacieux comme Harper’s Bazaar ou Vu, ont reconnu son travail créatif. Aujourd’hui encore, le travail de Man Ray reste une référence et inspire de nombreux artistes.
Man Ray rencontre Kikki de Montparnasse
A l’époque où Man Ray s’installe à Paris, il a 31 ans. En fréquentant les artistes de son quartier, il fait la rencontre de Kikki de Montparnasse. La jeune femme qui s’appelle en réalité, Alice Prin, n’a alors que 20 ans. Elle est déjà l’égérie des artistes peintres et sculpteurs pour lesquels elle pose souvent nue. C’est l’archétype de la femme libre, menant une vie de bohême, à la fois modèle, danseuse, chanteuse, peintre, gérante de cabaret, etc. Elle est surnommée la reine de Montparnasse. Kikki et Man Ray deviennent rapidement amants.
Au début de leur rencontre, Kikki n’aime pas poser pour la photographie. Habituée aux peintres et aux sculpteurs, elle reproche à la photo sa trop grande réalité. Pourtant, en 1924, elle pose pour Man Ray. Il l’a convaincue avec cette phrase : « Je photographie comme je peins. Je transforme le sujet comme un peintre le ferait ».
Naissance du violon d’Ingres
Pour réaliser le violon d’Ingres, Man Ray s’inspire à la fois de la peinture classique et de l’orientalisme, très en vogue à la charnière du 19ème et du 20ème siècle. Il drape son modèle à la taille et lui met un turban dans les cheveux en la faisant poser de dos. Les bras réunis en avant créent un tronc abstrait s’apparentant au corps d’un violon. L’arrière-plan dépouillé renforce l’importance du corps du modèle en l’isolant de tout environnement.
C’est directement sur le tirage que Man Ray ajoute les deux ouïes d’un violon, à la mine de plomb et à l’encre. C’est tout d’abord une référence à Jean-Dominique Ingres, grande figure de la peinture classique et amateur de cet instrument de musique. Man Ray s’inspire clairement de sa Baigneuse dite de Valpincon. Il subit également l’influence du dadaïsme en détournant un objet de son usage comme Marcel Duchamp avec son urinoir.
Naissance de la photographie surréaliste
En créant un titre en forme de jeu de mots pour cette photographie, Man Ray s’inscrit parfaitement dans les premières expériences de ce qui allait devenir le mouvement surréaliste. Le photographe fait ainsi référence à André Breton grand amateur d’insolite. Celui-ci sera par la suite, propriétaire d’un tirage du Violon d’Ingres. Ce tirage est aujourd’hui détenu par le Musée Georges Pompidou à Paris.
L’année de sa création en 1924, cette photographie est publiée dans la revue Littérature. Elle apporte ainsi la preuve que la photographie peut s’affranchir du réalisme pour créer des œuvres surréalistes. C’est la naissance de ce courant artistique en photographie.