Irving Penn acteur majeur dans la photographie de portrait et de mode

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L’exposition Irving Penn au Grand Palais à Paris se termine à la fin du mois de janvier 2018. Elle met en valeur l’étendue de l’œuvre de ce grand photographe américain surtout connu pour ses longues années de collaboration dans la mode avec le magazine Vogue. Irving Penn a construit toute son œuvre photographique en studio en laissant son empreinte dans la photographie de mode, de portrait et de nature morte.

« Une bonne photographie est celle qui communique un fait, touche le cœur du  spectateur et le transforme. En un mot, c’est une photographie efficace. »

Ma visite de l’exposition

J’ai vu cette exposition avec bonheur dimanche 7 janvier. Irving Penn compte parmi mes photographes préférés aux côtés de Jeanloup Sieff, Willy Ronis, Edward Weston et quelques autres. J’ai pu apprécier de voir en vrai, des photographies que je connaissais par les livres et internet. Un beau tirage, bien mis en valeur, est tout de même ce qu’il y a de mieux.

J’ai pris mon temps pour parcourir l’exposition, organisée comme mes chapitres ci-dessous. Je me suis attardé en particulier sur les portraits de personnalités et les débuts dans la photo de mode. Le travail soigné, la lumière parfaite, la composition, le graphisme et l’expression des modèles forment l’essentiel du testament artistique d’Irving Penn est là.

Les débuts avec Harper’s Bazaar puis Vogue

Irving Penn né en 1917, est tout d’abord attiré par la peinture mais étudie le design. En 1938, il s’achète son premier appareil photo, un Rolleiflex, et s’en sert de bloc-note. Il entre alors assistant au Harper’s Bazaar. Il commence par des photographies de devantures du XIXe siècle et d’enseignes peintes à la main. C’est l’époque de la grande dépression aux USA et de la photographie documentaire.

A partir de 1943 et ses débuts avec Vogue, Irving Penn formé au design, dessine les projets de couverture. Quelques temps après, le directeur de Vogue, Alexander Liberman, l’intègre à l’équipe de photographes puis le pousse à réaliser lui-même les couvertures. A cette époque Irving Penn réalise beaucoup de natures mortes. C’est l’une d’elle qui fera sa première couverture de Vogue en 1943.

 

Deux couvertures de Vogue d’Irving Penn (octobre 1943 et mai 2004)

Photographe exigeant et perfectionniste, Irving Penn est un adepte du style épuré avec un cadrage serré. Bien souvent, il recadre encore au tirage pour augmenter l’importance de son sujet. Irving Penn aime composer des images à l’histoire évocatrice comme une tâche de rouge à lèvres sur un verre de cognac ou une allumette brulée… Sa collaboration avec Vogue dure 50 ans et il réalise 165 couvertures.

Les portraits de personnalités

Après la guerre, il reprend son travail pour Vogue qui lui confie des portraits de célébrités. A moins de 30 ans, Irving Penn a carte blanche pour photographier les personnes que le magazine lui indique.

Dans un décor brut, dénué de tout accessoire, il conçoit un assemblage de deux grands panneaux gris réunis dans un angle à 30 degrés. Avec ce dispositif réduit et coincé dans cet espace contraint, ses portraits révèlent et mettent en valeur les personnalités.

 

De g. à d. : Salvador Dali (1947), Mrs-William Rhinelander-Stewart (1948) et The Ballet Society (1948)

« Extraire le modèle de son cadre de vie et le convoquer au studio, c’est lui donner une chance d’exister pour ce qu’il est, quels que soient son statut, sa classe, sa vie quotidienne, mais c’est aussi le transformer. »

Dans ce même décor brut, il utilise également un vieux tapis posé sur des caisses et sur lequel il fait assoir ses modèles. Son style avec fond neutre privilégie le modèle et vient est en rupture avec le style chargé de l’époque.

 

De g. à d. : M. & Mme Alexander Liberman avec Francine du Plessis (1948), Edith Piaf (1948) et Tanaquil Le Clercq (1947)

Tout son art de la composition se révèle, en particulier lorsque plusieurs modèles posent ensemble. Irving Penn va jusqu’à casser les codes du portrait en jouant avec les déformations optiques de ses objectifs pour créer des disproportions corporelles. Séduit par ses portraits, tout le gratin d’après-guerre défile dans son studio.

Faire un bon portrait pour Irving Penn « c’est chercher à faire émerger ce que le sujet voudrait cacher, tout en l’aidant à masquer ce qu’il ne veut pas vraiment donner ».

Débuts dans la photographie de mode

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Sa réputation bien établie, Vogue oriente Irving Penn vers la photographie de mode. Peu à l’aise dans les défilés parisiens, il s’aménage un studio avec éclairage naturel et un vieux rideau de théâtre en guise de fond. C’est dans ce bâtiment sans eau ni électricité qu’Irving Penn voit défiler rode de grands couturiers et mannequins dont Lisa Fonssagrives. De la rencontre avec cette ancienne danseuse dotée d’un sens inné de la pose, va naître une grande complicité. Elle devient rapidement sa muse et ils se marient en 1950. Elle compte parmi les plus grands top-modèles des années 50. Elle meurt en 1992.

 

 

Premiers travaux personnels

En 1948, Penn est envoyé au Pérou pour y réaliser ses premières photographies de mode en extérieur. Son travail réalisé, il se rend dans les Andes à Cuzco et s’y aménage rapidement un atelier photographique en éclairage naturel. En 3 jours, il y fait défiler une quantité de petits paysans en costume traditionnel. Il applique les mêmes recettes et photographie avec les mêmes méthodes que pour ses portraits de mode ou de célébrités.

Les petits métiers

Plus tard, en 1950 il est envoyé à Paris pour y photographier les collections. Entre deux défilés, inspiré par les marchands ambulants et le travail d’Eugène Atget et d’August Sander, Irving Penn s’installe un atelier et photographie les petits métiers. Peu à l’aise avec le français, il recrute un certain Robert Doisneau et un de ses amis. Ils servent de rabatteurs et écument tout Paris pour ramener artisans, vendeurs des rues, restaurateurs, boulangers, pâtissiers et bouchers. Penn leur fait prendre la pose avec leurs outils et leurs accessoires du quotidien. Par la suite, il poursuivra ce travail à Londres et à New-York établissant tout un inventaire des métiers en voie de disparition. Ses séries sont publiées dans Vogue et rencontrent elles aussi, le succès.

La majeure partie des tirages de cette série des métiers est réalisée au platine-palladium. Cette technique qui date de 1873 donne un rendu particulier à ses photos, tout en leur assurant une grande longévité.

Les portraits classiques

Dans les années 50 et au début des années 60, Irving Penn partage son temps entre la photographie de mode, les portraits de célébrités et la publicité. Il développe une nouvelle façon de photographier ses portraits en s’inspirant des peintres comme Goya, Daumier ou Toulouse-Lautrec. Ses cadrages, son éclairage et les poses qu’il fait prendre à ses modèles créent des portraits qui font tomber leurs défenses et percent leur personnalité. Sa notoriété désormais bien établie, sa construction graphique et la révélation psychologique deviennent la signature de ses portraits.

 

En général je trouve décevantes les photos qui représentent les gens dans leur milieu naturel. […] aussi j’ai préféré une tâche plus limitée : m’occuper seulement de la personne, loin des incidents de sa vie quotidienne, portant simplement ses vêtements et ornements, isolée dans mon studio. C’est du sujet seul que je distille l’image que je veux […].

Les nus dans leur réalité

A la fin des années 40, Irving Penn aborde le nu féminin à petits pas. Là aussi, il casse les règles, empruntant ses modèles à des peintres et à des sculpteurs plutôt que de s’adresser aux mannequins qu’il rencontre régulièrement. Il s’intéresse aux femmes réelles et cherche à traduire leur sensualité et la générosité de leurs formes dans des postures anonymes.

 

Il travaille ce thème dans une logique expérimentale en cherchant à gommer la crudité de la chair avec des traitements originaux. Il surexpose le tirage avant de le blanchir et obtient des résultats aléatoires allant de la poubelle au hasard génial. Ces travaux dans le nu ne rencontrent cependant pas le même succès que les précédents.

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Kate Moss (1996)

Le monde entier dans son studio

Sans abandonner ses travaux dans la mode, Irving Penn parcoure le monde à la fin des années 60 et dans les années 70. Le magazine Vogue a changé de direction et celle-ci préfère Richard Avedon à Irving Penn. Irving Penn poursuit ses travaux avec les populations autochtones dans leurs tenues traditionnelles ou rituelles, en Nouvelle-Guinée, au Népal, au Dahomey (actuel Bénin), au Cameroun et au Maroc. Il réalise des portraits magistraux nés de ces rencontres de deux mondes totalement étrangers. Il n’oublie pas l’occident avec l’Italie, l’Espagne et même les Etats Unis avec son travail sur le mouvement hippie.

 

Natures mortes si bien nommées

Au début des années 70, Irving Penn mène des travaux de recherche personnels qui créent l’incompréhension. Il collecte des mégots de cigarettes ramassés dans les rues, les assemble et les photographie comme il le ferait avec des objets de luxe. Cette démarche est née de son travail de publicité pour les cigarettiers. Il déteste le tabac et est sensible aux premières campagnes révélant ses méfaits sur la santé. Il prend le contrepied et montre la contradiction humaine et l’opposition entre le laid et le beau.

Il poursuit ses recherches personnelles jusqu’en 2007. Durant cette période, il collecte des déchets, des objets défraîchis ou abimés, des ossements, des fruits pourris, des pièces métalliques et des accessoires, outils et textiles usagés. Ses mises en scène sont méthodiquement préparées avec des dessins et des aquarelles. Dans les années 80, Irving Penn s’intéresse aux fleurs. Là aussi, il ne les photographie pas à l’apogée de leur splendeur mais un peu et jusqu’à totalement fanées.

Toutes ses démarches artistiques personnelles se justifient par ses propos :

« Je ne photographie pas ce que je vois. Cela ne m’intéresse pas. Je ne photographie que ce qui m’intrigue. »

Les derniers portraits de mode

Des années 60 au début des années 2000, Irving Penn continue de réaliser des portraits et de collaborer dans la photographie de mode. Bon nombre de célébrités et de mannequins vedettes posent pour lui. Cependant, son travail ne révèle plus la même originalité que dans la première partie de sa vie. Ses portraits n’ont plus le même impact et ils s’imprègnent  même d’une certaine nostalgie à mesure qu’il vieillit. Il meurt en 2009.

 

Peu bavard avec la presse : « J’ai l’habitude de ne pas vouloir m’exprimer à propos de mes idées et de mes vues personnelles. Mon travail, c’est moi, pour le meilleur ou pour le pire. »

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David Bowie (199)

Pour aller plus loin : Fondation Irving Penn

 

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